
La beauté désaccordée
Un oiseau, un envol, et une leçon simple : ce n’est pas la propreté des plumes qui fait la beauté du geste
Nous sommes au parc ornithologique du Pont de Gau, en Camargue, un lieu que je connais bien et que j’aime particulièrement pour la richesse de ses oiseaux, pour cette sensation de liberté, de proximité avec la vie sauvage. Ce jour-là, comme souvent, je suis venu photographier les oiseaux. Bien sûr, les flamants roses attirent les regards, mais ici, on croise aussi des espèces qu’on voit plus rarement d’aussi près : un Héron pourpré, se poser tout près, et d’autres oiseaux plus discrets que je croise parfois autour de chez moi, dans les campagnes. Le parc est calme, la lumière est douce, et je marche tranquillement sur les sentiers, sans chercher quoi que ce soit de précis, juste en me laissant guider par l’instant.
Et puis, au loin, je l’aperçois. Un flamant rose, seul, un peu à l’écart, qui se roule dans la boue. C’est un comportement que je n’ai pas souvent vu. Il n’était pas avec les autres, pas debout dans l’eau à chercher sa nourriture, mais au sol, complètement absorbé dans ce bain étrange, mélange d’eau, de terre et de plumes. Je reste à distance, je ne m’approche pas. Je le regarde faire, avec cette curiosité tranquille qui précède toujours mes meilleures images.
Une fois qu’il semble avoir terminé, je sens que quelque chose va se passer. Il redresse le cou, secoue ses ailes, puis commence à marcher d’un pas décidé. Je connais ce mouvement : il prend de l’élan pour décoller. Je me prépare, je cadre, je retiens mon souffle. Il s’élance. En plein face à moi. Ce moment-là, je le photographie, en plein vol, juste à l’instant précis où son corps quitte le sol, entre puissance et grâce, porté par l’élan du vent.
Mais ce qui m’arrête vraiment, en regardant l’image, ce n’est pas le vol. C’est la couleur. Le flamant rose… n’est pas rose. Son plumage, d’ordinaire éclatant, a pris une teinte jaune, presque brune, à cause de la boue dans laquelle il s’est roulé juste avant l’envol. Et ce contraste est à la fois drôle, inattendu et terriblement humain. Comme si, à force de chercher la beauté parfaite, on oubliait que même les oiseaux les plus élégants passent, parfois, par des instants de désordre.
Ce jour-là, j’ai photographié un flamant rose. Mais pas celui que l’on imagine. Un flamant rose pas rose. Un flamant libre, couvert de boue, en plein vol. Et c’est peut-être ça, justement, qui le rendait encore plus vivant.